Une étude critique du récit de la résurrection de Jésus

dont l'auteur souhaite rester anonyme


Introduction

 

    Indéniablement, la résurrection de Jésus est au cœur du message chrétien primitif. « Et si Christ n’est pas ressuscité notre prédication est vaine et votre foi est vaine » déclare l’apôtre Paul en 1 Cor. 15,14.

Proclamation qui heurte le bon sens, la Raison, dans la mesure où elle contredit les données de l’expérience, à savoir le caractère inéluctable et définitif de la mort. Proclamation qui surprend aussi, lorsqu’on sait qu’après la mort de leur Maître, les disciples étaient loin de faire preuve de triomphalisme. Les évangiles nous les présentent, en effet, comme abattus, désemparés. Pourquoi ? Parce que cette mort ignominieuse ruinait le message prophétique de leur Maître… donc leur espérance. N’avait-il pas annoncé le proche établissement du Royaume de Dieu ? La déception est brutale et pourtant, à la surprise générale, cette déception se transforme, quelques semaines plus tard, en une folle assurance. N’annoncent-ils pas haut et fort qu’Il est ressuscité ? Comment expliquer un tel revirement ?

    Présentée en ces termes la problématique de la foi en la résurrection nous interpelle. Faut-il alors franchir le pas et considérer que la proclamation des disciples repose sur une réalité historique ? C’est bien ce que soutiennent les chrétiens fondamentalistes. Manifestement, disent-ils, les disciples n’ont pas pu inventer cette histoire de résurrection et s’ils n’ont pas pu inventer c’est, de toute évidence, parce qu’il s’est passé "quelque chose", quelque chose de très fort qui les a profondément marqués. Pris dans cette logique il nous faut alors admettre l’inconcevable : admettre que Jésus est réellement apparu à ses disciples et donc admettre la véracité de nos quatre évangiles. Conclusion logique qui se confond en acte de foi ! Paradoxe absolu où l’exigence de rationalité conduit à opter pour l’Irrationnel !

    Mais les textes du Nouveau Testament confirment-ils une telle position ? Pas si sûr. Et si, à travers ces textes, se cachait une réalité beaucoup moins spectaculaire ?

 

Jésus s’est-il manifesté après sa résurrection ?

 

Curieusement, alors même que sa prédication est tournée vers un futur immédiat, qu’il révèle clairement à ses disciples les signes « de la fin du monde » (Mat.24,3-35), Jésus se montre très discret sur les événements extraordinaires qui vont marquer sa propre destinée. Ce n’est que de façon très occasionnelle qu’il parle de sa mort et de sa résurrection, et, quand il en parle, curieusement, son entourage ne le comprend pas. Ses paroles, nous dit-on, sont perçues comme obscures, énigmatiques. Constatons que jamais il ne mentionne ses futures apparitions. En Lc. 18,31-34, Jésus s’adresse aux douze en ces termes : «  (…) et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l’homme s’accomplira. Car il sera livré aux païens ; on se moquera de lui, et après l’avoir battu de verges, on le fera mourir ; et le troisième jour il ressuscitera. Mais ils [les disciples] ne comprirent rien à cela ; c’était pour eux un langage caché, des paroles dont ils ne saisissaient pas le sens. » Discours bien impersonnel. Tout se passe comme si le Seigneur se contentait de lire des textes prophétiques.

 

Notons que les plus anciens manuscrits de Marc ignorent tout récit d’apparitions.[1] Le tombeau vide y est cependant mentionné et une apparition de Jésus en Galilée est annoncée (Mc.16,3-7).

 

En 1 Jn. 3,2 nous lisons : « Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ; mais nous savons que, lorsque cela sera manifesté nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. » 

 

Cette position est confirmée par l’apôtre Paul. En Héb. 9,26- 2 nous lisons : « Et comme il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement, de même aussi le Christ qui s’est offert une seule fois pour porter les péchés d’un grand nombre, apparaîtra sans péché une seconde fois à ceux qui l’attendent pour leur salut. » D’après le verset 26, la première fois, Christ était venu abolir le péché par son sacrifice… étape ultime de son ministère terrestre.

 

Pour les apôtres, il est clair, que le retour de Jésus sous une forme "corporelle" et visible n’a pas encore eu lieu et cet évènement à venir est désigné par le terme  Parousie. Rappelons que les mots grecs épiphanie (apparition) et parousie (venue) désignaient primitivement la venue future du Christ.

 

Mat. 24,23-27 apporte quelques précisions supplémentaires : « Si quelqu’un vous dit alors : le Christ est ici, ou : Il est là, ne le croyez pas. [...] Si donc on vous dit: voici, il est dans le désert, n’y allez pas; voici il est dans les chambres, ne le croyez pas. En effet, comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’en occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. »

En clair méfions-nous de ceux qui prétendent avoir vu le Christ. Lorsqu’il se manifestera ce sera avec puissance et gloire... et tout œil le verra. Affirmation récurrente dans tout le Nouveau Testament.

 

La lecture des évangiles nous réserve pourtant bien des surprises.

Ils nous montrent, un ressuscité discret, ambigu, que les disciples, de prime abord, ne reconnaissent même pas.

En Lc. 24,15 : « Jésus s’approcha, et fit route avec eux (les pèlerins d’Emmaüs). Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. »

En Lc. 24,31-32 Jésus, est reconnu par ses disciples, mais il disparaît aussitôt.

En  Jn. 20,14-15 : « En disant cela, elle (Marie) se retourna, et elle vit Jésus debout ; mais elle ne savait pas que c’était Jésus. » Elle pensait que c’était le jardinier.

 

Même ambiguïté dans Mc. 16,12-14: « Après cela, il apparut, sous une autre forme, à deux d’entre eux qui étaient en chemin pour aller à la campagne. Ils revinrent l’annoncer aux autres, qui ne les crurent pas non plus. Enfin il apparut aux onze, pendant qu’ils étaient à table; et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité. » Si Jésus apparaît physiquement à ses disciples, n’est-ce pas justement pour leur apporter la preuve magistrale qu’il est bien ressuscité ? Son objectif n’était-il pas de leur redonner confiance, de les redynamiser en quelque sorte, de telle façon qu’ils puissent proclamer, en toute assurance, la bonne nouvelle de la résurrection ?

Comment comprendre alors ce reproche d’incrédulité ? L’attitude du ressuscité ne paraît-elle pas bien injuste pour ne pas dire bien incompréhensible ? Pour y voir plus clair sans doute convient-il de ne pas s’attarder sur le récit lui-même mais plutôt sur l’intention de l’auteur, sur l’enseignement principal qu’il cherche à faire passer. Que nous enseigne-t-il ? Que, si Jésus reproche à ses disciples d’être incrédules, c’est, tout simplement, parce que la foi l’emporte sur la vue.

 

Très surprenant est le passage de Mat. 28,16-17: « Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait désignée. Quand ils le virent, ils l’adorèrent. Mais quelques-uns eurent des doutes. » Cette contradiction paraît énorme. Comment peut-on adorer Jésus et avoir des doutes ?

 

Si les évangiles insistent particulièrement sur l’incrédulité des disciples, ils n’en minimisent pas pour autant l’incrédulité des autorités juives (c. à. d. le Sanhédrin) qu’ils nous décrivent comme hostile et systématique.

Et pourtant, en Mat. 28, à notre grand étonnement, nous apprenons, que les premiers à croire en la résurrection de Jésus, sans même l’avoir vu, ce ne sont pas les disciples, mais leurs adversaires les plus déterminés, à savoir les autorités juives.[2] Rien d’étonnant à cela affirme l’exégèse chrétienne, puisqu’on peut croire à la résurrection tout en étant endurci à la Vérité. La meilleure preuve, affirme-t-elle, c’est que Satan, lui aussi, croit en la Résurrection. Argument imparable car chacun sait que le monde de "l’au-delà" c’est, par définition, le monde de l’invérifiable… Très commode pour faire passer les affirmations les plus saugrenues.[3]

Mais remettons les pieds sur Terre. L’incohérence du texte de Mathieu est manifeste. D’abord on nous présente des autorités juives d’une incrédulité viscérale, puis, contre toute attente, et sur la seule base d’un témoignage oral, elles font preuve d’une désarmante crédulité (en cela elles montrent une foi bien plus grande que les disciples. cf. Mc. 16,12-14). Néanmoins, malgré leur crédulité (ou leur foi ?), ces mêmes individus s’ingénient à répandre une fausse rumeur, se faisant, ainsi, délibérément, les apôtres d’un contre-Évangile. Aucun motif, aucun ressort psychologique pour justifier une réaction aussi aberrante. L’endurcissement imputé aux autorités religieuses relève de la plus parfaite extravagance… à moins d’admettre que la thèse des mystificateurs soit elle-même une mystification !

 

Si l’on admet la thèse évangélique, à savoir que ce sont les apparitions qui sont à l’origine de la foi en la résurrection, la discrétion du Ressuscité laisse, évidemment, perplexe. Pourquoi n’est-il apparu qu’à ses disciples ? N’avait-il pas intérêt, au contraire, à se montrer de façon éclatante au plus grand nombre, en particulier à ses ennemis ?

 

La nature du corps ressuscité

 

Selon les évangiles

 

Jn. 20,20 : «... Jésus vint, se présenta au milieu d’eux [...] Et quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. »

Jn. 20,27-28 : « Puis il dit à Thomas : Avance ici ton doigt, et regarde mes mains ; avance aussi ta main, et mets-la dans mon côté; et ne soit pas incrédule, mais crois.»

Luc 24,36-40 : « Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi ; touchez-moi et voyez; un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. »  Comme les disciples ont des doutes, le Christ prend du poisson grillé et le mange devant eux. (v. 41 à 43)

Dans ces récits le ressuscité cherche à rassurer ses disciples en montrant qu’il n’a pas changé, que son corps est toujours de même nature.

 

Selon les apôtres

 

En 1 Cor. 15,39-50 Paul affirme : « Il y a aussi des corps terrestres et des corps célestes; mais autre est l’éclat des corps célestes, autre celui des corps terrestres. (...) Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Le corps est semé corruptible; il ressuscite incorruptible; il est semé méprisable, il ressuscite glorieux; il est semé infirme, il ressuscite plein de force; il est semé corps animal, il ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel. (...) Ce que je dis frères, c’est que la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu, et que la corruption n’hérite pas l’incorruptibilité. »

D’après 2 Cor. 5,16: « Et si nous avons connu Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette manière. »

Pour Paul aucune confusion n’est possible entre corps célestes et corps terrestres. Leur nature est radicalement différente. Sans doute aurions-nous aimé plus de précisions de la part de l’apôtre ; prudent il préfère s’en tenir à des généralités.

Notons que Pierre confirme le point de vue de Paul : «...ayant été mis à mort quant à la chair, mais ayant été rendu vivant quant à l’Esprit,...» (1 Pi. 3,18)

 

Après les affirmations de Paul l’apparence du ressuscité paraît bien terne lorsqu’on parcourt les évangiles. Ce manque d’éclat contraste, par exemple, de façon saisissante, avec l’aspect des anges (cf. Lc. 24,4-5 ; Mat. 28,3-4), car il nous est précisé que « leur aspect était comme l‘éclair »  et que « leurs habits étaient resplendissants », « blancs  comme la neige ». Comme ces apparitions sont généralement accompagnées « d‘un grand tremblement de terre », les témoins sont saisis d‘une grande frayeur (Lc. 24,4-5 ; Mat. 28,3-4). Ce qui soulève une question : la population pouvait-elle ignorer des phénomènes d’une telle ampleur ? Curieusement ce tremblement de terre n’a laissé aucune trace dans les documents d’époque.

 

De même l‘aspect de Jésus paraît bien plus éclatant lors de la transfiguration. Selon Mat. 17, 2 : « Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements  devinrent blancs comme de la lumière. »  Selon Marc 9,3 : « ses vêtements devinrent d‘une telle blancheur qu‘il n‘est pas de foulon sur la terre qui puisse blanchir ainsi.»

 

En Jn. 20,14-15 Marie, ne reconnaît pas immédiatement le Seigneur ressuscité. Tout bascule quand elle entend la voix l’appeler par son nom. Elle se retourne alors et ses yeux s’ouvrent. Profondément émue, elle cherche à établir, semble-t-il, un contact physique avec son Maître, mais, curieusement, celui-ci l’arrête aussitôt, en lui interdisant de le toucher avec pour toute justification : «( …) je ne suis pas encore monté vers mon Père. » (Jn. 20,17) (Ce qui contredit Jn. 20,27-28.) Faut-il comprendre que son corps n’était pas encore glorifié ? Dans cette hypothèse Marie aurait été en présence d’un simple cadavre ramené à la vie ou, si on préfère, d’un mort-vivant. Partant de là, on peut considérer que la réaction de Jésus n’est que la traduction d’un interdit religieux, ce qu’on appellerait, aujourd’hui, un tabou. Marie ne devait pas toucher pour éviter de se souiller.

On peut aussi interpréter cette interdiction comme une tentative, de la part du rédacteur, d’harmoniser les récits d’apparitions. Comme l’Évangile de la résurrection ne pouvait guère s’accommoder de témoignages subjectifs, l’harmonisation ne pouvait être que majorante. De là à considérer que l’apparition dont avait bénéficié Marie, n’était pas une simple vision ou un vague fantôme, mais bien une manifestation "matérielle", charnelle… ce qui restait, évidemment, à prouver. Or on peut émettre l’hypothèse que cette trace de témoignage n’apportait aucune preuve à la thèse défendue, si bien que le rédacteur en aurait été réduit à inventer une explication pour le moins tirée par les cheveux, qui est la suivante : Marie aurait bien été en présence d’une apparition matérielle ; malheureusement elle n’a pas pu s’en assurer "concrètement", et cela pour une raison très simple : le ressuscité lui avait interdit de le toucher.

 

Il peut paraître étrange que la description du ressuscité soit aussi vague et aussi incohérente. En Mc. 16,12 on se contente de dire « qu’il  apparut sous une autre forme » (sans préciser laquelle). En Lc.24,36 ou en Jn.20,19 on nous dit qu’il se « présenta au milieu d’eux » alors que les portes étaient fermées (donc dans une pièce), sans apporter plus de détails que la joie des disciples, selon Jean, la frayeur et l’épouvante, selon Luc, car « ils croyaient voir un esprit » (en d’autres termes un fantôme, ce qui contredit alors les autres récits).

 

Ajoutons que le récit de l’Ascension est tout aussi elliptique. En Act. 1,9-11:

« Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu’il s’en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent, et dirent... » (La nuée permet au rédacteur de rester flou. Si nous n’avons aucune description de Jésus, l’apparition des "anges" est au contraire lumineuse.)

 

Si l’on admet que le ressuscité s’est manifesté matériellement et qu’il a même mangé en présence de ses disciples (d’après Luc 24,41-43), comment faut-il comprendre le dernier repas du Seigneur peu de temps avant sa mort ? En Lc. 22,14-18, Jésus n’affirme-t-il pas qu’il ne mangera plus ni ne boira plus du fruit de la vigne avec ses disciples jusqu’à l’avènement du royaume de Dieu ? La Cène ne nous est-elle pas présentée comme un repas en mémoire du Seigneur ? Ergoter sur la nature des aliments nous semble être une façon plus que contestable de résoudre cette contradiction.

 

Observons que les apparitions du Seigneur se produisent sur une période très courte (quelques semaines selon Act. 1,3). Pourquoi Jésus coupe-t-il ainsi les ponts avec ses disciples alors qu’une période difficile les attendait? En Matthieu 28,20 le ressuscité n’avait-il pas proclamé: « Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.»

 

Et les autres résurrections ?

 

Jésus est ressuscité mais, selon nos évangiles, il a aussi ressuscité des morts. D’autres morts ont encore ressuscité après qu’il eût « rendu l’esprit » sur la  croix.

 

Des évènements aussi spectaculaires, qui attestaient la puissance de Dieu, pouvaient difficilement être passés sous silence. Or, il faut se rendre à l’évidence, en dehors des évangiles, il nous est impossible de trouver la moindre mention de ces résurrections, que ce soit dans le reste du N.T., .... ou que ce soit dans les sources profanes.

Que faut-il penser de toutes ces résurrections ? Sont-elles d’une nature vraiment différente?

 

Pour les exégètes chrétiens, de toute évidence, il existe deux types de résurrections, les unes seraient « charnelles », les autres « spirituelles ». Alors que dans un cas les personnages rappelés à la vie étaient condamnés à mourir une deuxième fois, dans l’autre (qui est à ce jour unique), la résurrection a été glorieuse et définitive. Pour séduisant qu’il soit, ce subtil distinguo n’est confirmé  nulle part dans les Écritures.

 

Si, dans les épîtres, les apôtres affirment avec force que Jésus est le «premier-né d’entre les morts » (Col. 1,18-19), jamais ils ne mentionnent les autres résurrections. Rappelons que la seule résurrection reconnue par Paul est la résurrection  « spirituelle » parce que, dit-il : «… il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement… » (Héb. 9, 26-28) et d’affirmer que la nature du corps de résurrection ne doit pas être confondue avec un corps « charnel » : « Le corps est semé corruptible; il ressuscite incorruptible; il est semé méprisable, il ressuscite glorieux; il est semé infirme, il ressuscite plein de force; il est semé corps animal, il ressuscite corps spirituel. » (1 Cor. 15,39-50)

 

Or les évangiles semblent défendre une position radicalement différente. D’après Mat. 27,52-53 : « (…) les sépulcres s’ouvrirent et les corps de plusieurs saints (« de nombreux saints » selon certaines traductions) qui étaient décédés ressuscitèrent. Étant sortis des sépulcres, après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de personnes. »

Pourquoi le rédacteur a-t-il jugé bon de préciser « après la résurrection de Jésus» alors que, si l’on suit le déroulement du récit, Jésus vient à peine de rendre l’âme ? De toute évidence pour nous rappeler que Jésus est bien le «premier-né d’entre les morts ». Cette petite précision, glissée discrètement, ne serait donc pas anodine ; elle nous confirmerait, implicitement, que toutes ces résurrections sont bien de même nature.

 

On peut d’ailleurs rapprocher ce passage de 1 Cor. 15,20-24 : « … Christ est ressuscité des morts, il est les prémices de ceux qui sont morts. Car puisque la mort est venue par un homme, c’est aussi par un homme qu’est venue la résurrection des morts.  Et comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ, mais chacun en son rang, Christ comme prémices, puis ceux qui appartiennent à Christ, lors de son avènement. »  Une différence de taille cependant. Paul n’expose pas des faits s’étant réellement produits mais un évènement futur qu’il convient d’espérer et c’est cette espérance qui constitue la base même de l’Évangile.

Force est de constater que la résurrection des croyants a toujours fait partie de l’espérance chrétienne ? Paul est, là-dessus, très clair : « ... nous les vivants, restés pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont morts. Car le Seigneur lui-même, à un signal donné, à la voix d’un archange, et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ ressusciteront premièrement(1 Thes. 4,14-17) Donc après le Christ.

 

La thèse d’un Jésus pleinement ressuscité distinct des autres ressuscités seulement ramenés à la vie, constitue une réponse sans doute bien commode mais elle n’est absolument pas fondée sur les Écritures… ce qui n’empêche pas, d’ailleurs, qu’elle soit présentée comme une évidence par les chrétiens fondamentalistes. L’étrange silence des épîtres sur ce point est d’autant plus inexplicable que ces textes constituent, faut-il le rappeler, les premiers écrits chrétiens.[4] Par contre si de tels miracles s’étaient réellement produits, les apôtres n’auraient pas manqué de nous le faire savoir… avec force détails. N’était-ce pas, en effet, l’occasion rêvée de témoigner de la puissance de Dieu ?

Même si d’aucuns prétendent qu’il existe, encore de nos jours, des témoignages de résurrections, (je l’ai entendu de mes propres oreilles), il convient de reconnaître qu’elles sont loin d’avoir le caractère spectaculaire du récit de Mathieu et, en y regardant d’un peu plus près, on s’aperçoit que les miracles ne sont, bien souvent, que le fond de commerce d’une certaine littérature.

 

Ces prétendus témoignages soulèvent donc bien des interrogations. Faut-il les prendre pour argent comptant… ce que les croyants s’empressent d’appeler un acte de foi ? Malheureusement, ces témoignages étant toujours invérifiables, on est en droit de soupçonner la désinformation ou la manipulation ?

 

De façon plus générale quel crédit convient-il d’accorder aux miracles ? Existe-t-il des critères objectifs permettant de les définir ? Pour leur part les évangiles ne nous donnent aucune réponse claire. [5]

Mais essayons de transposer le texte de Mathieu à notre époque. Comment réagiraient nos contemporains si des centaines de morts sortaient réellement de leur tombeau pour aller s’exhiber dans les rues de nos cités ? Les journalistes, assurément, y verraient un formidable scoop qui ne manquerait pas d’être surmédiatisé ; les scientifiques, confrontés à une déroutante rupture épistémologique, y verraient un magnifique sujet d’étude qui ferait date ; de façon plus générale on imagine sans peine le traumatisme qui résulterait d’un tel évènement et sans doute ce traumatisme serait-il accompagné d’une immense espérance. 

 

Le témoignage de Paul

 

Si les évangiles tentent de nous décrire des "apparitions matérielles", force est de constater que les apôtres soutiennent une position bien différente, tout particulièrement l’apôtre Paul.

 

Ainsi peut-on lire en 1 Cor. 2,10-11 : « ce sont des choses que l‘œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont point montées au cœur de l’homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l’aiment. Dieu nous les a révélées par l’Esprit. »

 

En Gal. 1,11 : « Je vous déclare, frères, que l’Évangile qui a été annoncé par moi n’est pas de l’homme; car je ne l’ai ni reçu ni appris d’un homme, mais par une révélation de Jésus-Christ. » (Voir aussi 2 Cor. 12,2-7)

 

En Eph. 3,3-6 : « C’est par révélation que j’ai eu connaissance du mystère sur lequel je viens d’écrire en peu de mots. [...] Il n’a pas été manifesté aux fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant par l’Esprit, aux saints apôtres et prophètes de Christ. »

On retrouve la même idée en Col. 1,26-27: «...le mystère caché de tout temps et dans tous les âges, mais révélé  maintenant à ses saints, ... »

 

Ainsi assimilées à une sorte d’expérience intérieure, les "apparitions" deviennent un domaine réservé à quelques "élus" : les « saints apôtres et prophètes de Christ », « ceux qui aiment Dieu ».

Renversement de perspective total : manifestement les apparitions ne peuvent pas avoir été à l’origine de la Foi en la résurrection et dès lors tout s’éclaire : la discrétion du ressuscité, le silence assourdissant des sources profanes, le fait qu’il ne se soit pas manifesté à ses ennemis, les ambiguïtés des apparitions. Comme nous le verrons plus loin, c’est, ultérieurement, lorsqu’on cherchera à harmoniser la "Tradition orale", qu’on s’est créé des "problèmes".

 

En Act. 22,6-9 Paul nous livre un témoignage bien différent de ce que nous pouvons lire dans nos canoniques : « Comme j’étais en chemin, et que j’approchais de Damas, tout à coup, vers midi, une grande lumière venant du ciel resplendit autour de moi. Je tombai par terre, et j’entendis une voix qui me disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? »  (Remarquons que cette apparition se produit dans une région du Proche-Orient [sur le chemin de Damas], au moment de la journée où le soleil frappe le plus fort. Paul aurait été, apparemment, victime d’une insolation sévère qui l’aurait plongé dans un état délirant. Pour l’époque il n’y a rien d’étonnant qu’un tel incident ait pu être interprété comme une apparition.)

Même si, avant lui, d’autres frères en Christ ont eu des apparitions (1 Cor. 15, 5-8) jamais il ne fait de distinguo entre révélation, vision et apparition ou entre apparition spirituelle et apparition matérielle. Il s’agit, pour lui, d’une seule et même " réalité " car il n’y a qu’un seul et même Esprit qui opère (1 Cor. 12,11). « Le Seigneur c’est l’Esprit; » (2 Cor. 3,17).

 

Observons qu’en dépit de la nature confuse de ces "apparitions", qu’il vaudrait mieux qualifier "d’expériences spirituelles", Paul se place sur un pied d’égalité avec les autres apôtres. 1 Cor. 9,1 : « Ne suis-je pas apôtre? N’ai-je pas vu Jésus-Christ notre Seigneur? »

 

En 2 Cor. 12,11 après avoir fait part de ses "visions", il déclare: « (...) je n’ai été inférieur en rien aux apôtres » (v. 11). Sans doute conscient du risque de paraître plutôt prétentieux, Paul essaye alors de donner, autant que possible, des gages d’humilité : « …je suis le moindre des apôtres, je ne suis pas digne d’être apôtre,… » (1 Cor. 15,8-9)

 

En affirmant avoir vu le Seigneur, Paul ne cherche pas à prouver la Résurrection, il revendique tout simplement une part d’autorité [6]. S’il précise que Christ est apparu à plus de « cinq cents frères à la fois » (1 Cor. 15,6), c’est bien pour souligner que les douze n’ont pas le monopole des visions. A la lecture des textes on s’aperçoit, d’ailleurs, que Paul est assez fréquemment sujet à des visions.

Ainsi peut-il se mettre en avant et délivrer son message en toute légitimité : « Par la vérité de Christ qui est moi, je déclare (…) » (2 Cor. 11,10).

 

La prédication apostolique

 

Curieusement, pour prouver la résurrection, la prédication apostolique ne s’appuie guère sur les apparitions.[7]

Pour annoncer la Bonne Nouvelle la prédication apostolique s’appuie sur les trois piliers suivants :

 

-     Les Écritures (preuve scripturaire)

-     Le Saint-Esprit (preuve expérimentale)

-     La foi (acte de confiance qui s’affranchit de toute preuve)

 

Les Écritures

 

La preuve scripturaire repose sur les écrits des prophètes.

Selon Paul, en Rom. 1,1-3 : « … pour annoncer l’Évangile de Dieu qui avait été promis auparavant de la part de Dieu par ses prophètes dans les saintes Écritures. »

 

En Actes 13,23-27 : « C’est de la postérité de David que Dieu, selon sa promesse, a suscité à Israël un Sauveur, qui est Jésus. (…) Car les habitants de Jérusalem et leurs chefs ont méconnu Jésus, et en le condamnant, ils ont accompli les paroles des prophètes qui se lisent chaque sabbat. » (et d’annoncer ensuite la résurrection)

 

En Actes 28,23 : « Paul leur annonça le royaume de Dieu, en rendant témoignage (voir Gal.1,11 ; 2 Cor. 12,2-7…) et en cherchant, par la loi de Moïse et par les prophètes, à les persuader de ce qui concerne Jésus.»

 

En Act. 17,2-3: « Pendant trois sabbats, il (Paul) discuta avec eux, d’après les Écritures, expliquant et établissant que le Christ devait souffrir et ressusciter des morts. »

La preuve scripturaire s’appuie, évidemment, sur une certaine interprétation des Écritures.

Par exemple en Act. 2,24-25 : « Dieu l’a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort parce qu’il n’était pas possible qu’il fût retenu par elle. Car David dit de lui : ... » (suit une citation du Psaume 16,8-11).

En Act. 15,15-17 : « Et avec cela s’accordent les paroles des prophètes, selon qu’il est écrit: ... »  (suit une citation d’Amos 9,11-12)

 

Dans le Nouveau Testament, pour croire en Jésus-Christ, les Écritures apparaissent, d’ailleurs, comme une preuve suffisante.

Act. 17,30-31: « Dieu, sans tenir compte des temps d’ignorance, annonce maintenant à tous les hommes, en tous lieux, qu’ils aient à se repentir [...] ce dont il a donné à tous une preuve certaine en le ressuscitant des morts. » (Si la résurrection de Jésus est une preuve certaine pour tous, c’est évidemment parce qu’elle s’appuie sur des textes prophétiques.)

 

Très révélateur est le récit de Luc 24,13-27 où l’on nous montre un ressuscité qui s’efforce de convaincre ses disciples, non par sa seule présence, mais en s’appuyant sur les Écritures : « Alors Jésus leur dit : O hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire les prophètes! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces choses, et qu’il entrât dans sa gloire? Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. »

 

Le Saint-Esprit

 

-  C’est le Saint-Esprit qui rend témoignage, qui révèle. En 1 Cor. 2,10-11: « Mais, comme il est écrit, ce sont des choses que l‘œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont point montées au cœur de l’homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l’aiment. Dieu nous les a révélées par l’Esprit. »

1 Jn. 5,6 : « et c’est l’Esprit qui rend témoignage, parce que l’Esprit est la vérité. » (cf. aussi ; Act. 15,8-10 ; Rom. 9,1 ; Rom. 8,11).

 

- Le Seigneur c'est l'Esprit (2 Cor.3,16-17). En Gal 4,6-7: « Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de son Fils... »

 

- Le Saint-Esprit a une personnalité (Gal. 4,6; 1 Cor. 2,10-11; 1 Cor. 12,11; Rom. 8,27; Act. 13,2; ... )

 

-  Le Saint-Esprit est un autre consolateur (ou paraclet) à la place du Sauveur absent (Jn. 14,16-17 ; Jn. 15,26; Jn. 16,7-14). Constatons que si Jésus annonce la venue du Saint Esprit il ne souffle mot de ses futures apparitions.

 

- En invoquant le Saint-Esprit, les apôtres placent la foi en la résurrection sur un terrain expérimental et, même s’il s’agit d’expériences subjectives, les "témoins" ont la conviction intime qu’il s’agit de manifestations bien réelles.

De toute évidence les "apparitions" sont à l’origine d’un immense malentendu. Les termes utilisés peuvent prêter à ambiguïté ; néanmoins on peut se demander si cette ambiguïté n’a pas été sciemment entretenue par des générations de chrétiens… en toute bonne foi.

 

Ajoutons que par la preuve du Saint-Esprit, "les apparitions matérielles" de nos évangiles deviennent parfaitement superflues, et cela expliquerait bien pourquoi elles ne sont jamais mentionnées dans les épîtres.

 

La foi

 

-  Selon Paul la foi l’emporte sur la vue (2 Cor. 5,7-8; Tit. 1,1-2; ...)

«  C’est en espérance que nous sommes sauvés. Or l’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit peut-on l’espérer encore? »  (Rom 8: 24)

Ainsi, une manifestation visible du ressuscité rend impossible la vraie conversion.

 

Selon Paul encore : «( …) la foi est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. » (Héb. 11,1-2)

Formule déconcertante mais trouvaille géniale. De prime abord l'évidence apparaît aux antipodes de la foi. Néanmoins la foi n'est pas le doute, elle est au contraire certitude. Comme elle se veut certitude, la foi ne peut être que lumineuse, ne peut que reposer sur des preuves indiscutables... sinon ne paraîtrait-elle pas vaine ? Or, par un curieux retournement des choses, ces preuves doivent présupposer obligatoirement la foi. En conséquence, plus la foi est ferme, plus ces preuves sont nombreuses et éclatantes.

 

Dans la mesure où la foi s’affranchit de toute preuve, elle se met hors de portée du contradicteur… et s’érige, alors, de façon unilatérale, en preuve. Par sa foi le chrétien ne devient-il pas, en effet, un témoin du Christ ? Si l’on ajoute à cela l’effet du nombre, c’est-à-dire de tous les autres témoins qui forment l’Église, on comprend que la position de l’incroyant ne soit guère confortable.

 

Mais revenons aux Écritures. La prédication des apôtres s’appuie, manifestement, sur la foi et non sur des récits d’apparitions. « Or c’est la parole de la foi que nous prêchons. » (Rom.10, 8-10; ...) C’est avec insistance qu’ils soulignent l’importance de la foi. Ainsi le chapitre 3 de l’épître aux Galates.

 

Malgré les difficultés de croire, il apparaît bien que c’est la même foi en Christ qui rassemble tous les fidèles (y compris les disciples, témoins du Christ ressuscité).

Rom.1, 12 : « [...] Afin que nous soyons encouragés ensemble au milieu de vous par la foi qui nous est commune, à vous et à moi. » (Rom. 1,12; 2 Cor. 4.13-14; ...)

2 Cor. 4,13 : « Et comme nous avons le même esprit de foi ... »

1 Thes. 4,14 : « Car si nous croyons que Jésus est mort et qu’il ressuscité, croyons aussi que Dieu ramènera par Jésus et avec lui ceux qui sont morts. »

Rappelons que « l’espérance qu’on voit n’est plus espérance »

 

La foi n’est pas la croyance, nous dit-on, car la croyance est de nature purement intellectuelle alors que la foi est de nature spécifiquement spirituelle. La foi nous est ainsi présentée par les chrétiens comme un don de Dieu (Eph. 2,8), comme l’œuvre du Saint Esprit (Jn. 3,3). Loin d’être limpides ces affirmations sont pour le moins ambiguës, car parfaitement subjectives, et cela ouvre, inévitablement, la porte à toutes sortes d’excès, d’égarements. En 2000 ans de christianisme, que d’ignominies, que d’atrocités, ont été commises au nom de Jésus-Christ !

 

Si croire c’est faire un acte de confiance, croire c’est aussi, et surtout, s’enfermer dans une certaine logique : la logique de la foi. Une logique qui échappe à toute rationalité tout en s’en réclamant, une logique recroquevillée sur elle-même, au service de vérités considérées, d’avance, comme définitives, non négociables. Une logique intolérante qui impose ses règles et qui dénie toute compétence au contradicteur, une logique aux multiples artifices qui louvoie entre bonne et mauvaise foi, entre clarté et obscurité ou ambiguïté [8] ; une logique qui cherche aussi à décontenancer, à impressionner, par des formules-choc souvent simplistes, et qui se pare d’un style grandiloquent… à défaut de preuves objectives.

Comme nous le verrons plus loin, c’est grâce à la logique de leur foi, que les disciples ont interprété (à leur façon) les textes prophétiques.

 

A titre d’exemple, cette logique peut prendre la forme d’un raisonnement par l’absurde :

1 Cor. 15,13-19 : « S’il n’y a point de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité.  Et si Christ n’est pas ressuscité notre prédication est vaine et votre foi est vaine. » (idem 1Cor. 15,17-18)

1 Jn. 5,10-11: « Celui qui ne croit pas Dieu le fait menteur, puisqu’il ne croit pas au témoignage que Dieu a rendu à son fils. » 

Rom. 10,14: « Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont pas cru? »

 

Cette logique peut être circulaire comme en Rom.10,11: « Quiconque croit en lui ne sera pas confus. » (C’est on ne peut plus logique : à partir du moment où l’on croit c’est qu’on ne doute plus ; pour ne plus douter il suffit donc de croire. A l’inverse, si on doute c’est qu’on ne croit pas vraiment)

Elle peut jouer, enfin, sur le registre de la dignité outragée, ce qui légitime un discours intolérant : « Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ? » (1 Jn. 2,22) « ... la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent; » (1 Cor. 1,18)

 

….ou sur le registre doloriste : « ... injuriés nous bénissons, persécutés, nous supportons; calomniés, nous parlons avec bonté; nous sommes devenus comme les balayures du monde, le rebut de tous, jusqu’à maintenant. » (1 Cor. 4,10-13)

 

Le Salut par la Foi

 

Comme ni les preuves "matérielles" de la résurrection, ni la foi du "charbonnier", ni la puissance de l’Esprit Saint ne semblaient avoir raison de l’incrédulité du peuple, les apôtres se devaient de trouver une argumentation plus percutante. L’innovation viendra de Paul. Il comprend que pour convaincre, l’Évangile a besoin d’une doctrine cohérente qui touche à la fois à l’intelligence et au cœur. Le cœur étant par nature plus ouvert que l’intelligence, la prédication se mue, alors, en pression psychologique… Rien de plus efficace que d’inquiéter ou de culpabiliser son auditoire, surtout s’il est en situation de faiblesse.

En  Rom. 3,11 et 23 l’apôtre déclare : « Il n'y a point de juste, pas même un seul ; nul n'est intelligent, nul ne cherche Dieu, tous se sont égarés. " Ou encore " Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. » « Le salaire du péché, c'est la mort (la séparation d'avec Dieu) ; mais le don gratuit de Dieu, c'est la vie éternelle par Jésus-Christ, notre Seigneur. » (Rom. 6,23). Selon ce raisonnement Rédemption et foi deviennent indissociables. C'est parce qu'elle sauve que la foi nous est présentée comme indispensable.

 

Désormais la foi n'est plus une simple croyance fondée sur des preuves susceptibles d'être contestées, mais un acte volontaire, une attitude, un engagement personnel. En intériorisant la foi, les preuves prétendument objectives perdent de leur importance. En mettant l’accent sur la subjectivité, la foi se projette dans un "ailleurs" inaccessible à la critique.

Devenue un moyen (Éph.2,8) et non plus seulement une fin en soi, la foi se révèle intransigeante. « ...Celui qui ne croit pas au fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » Le choix se trouve donc réduit à deux propositions : être sauvé ou être perdu (définitivement).

 

Le malentendu des apparitions

 

Les signes de la Parousie

 

Que prêchait Jésus? Que l'avènement du royaume de Dieu était imminent et que ce grand jour serait accompagné de signes spectaculaires comme l'avaient annoncé les prophètes dans les Écritures: « Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, et vos jeunes gens des visions » (Joël 2,28). « Alors s'ouvriront les yeux des aveugles, les oreilles des sourds; le boiteux sautera comme un cerf et la langue du muet éclatera de joie » (Ésaïe 35,5-6). « La terre tremblera, les cieux et la terre seront ébranlés, le jour s'obscurcira » (Joël 2,10; Ag. 2,6; 2,22; Mi. 3,6), « les habitants seront dans le deuil et se lamenteront »  (Am. 8,9-10; 9,5), « ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront » (Dan. 12,2), « les sépulcres s'ouvriront » (Ez. 37,12; Ezé. 37,13-14), « le salut sera sur la montagne de Sion » (Jo. 2,32) ou encore « l'Eternel régnera sur la montagne de Sion pour toujours » (Mi. 4,7; Ab. 17; 21; Nah. 2,1;).

 

Or la correspondance entre certains passages de nos évangiles et les signes de la Parousie est troublante.

 

Selon les évangiles

 

Mat. 27,45 ; 51-53 : A la mort de Jésus, les ténèbres sont sur toute la terre, le voile du temple se déchire en deux puis la terre tremble, les rochers se fendent, des morts ressuscitent, sortent de leur sépulcre et se montrent à un grand nombre de personnes. En Lc. 23,48 la foule s'en retourne se frappant la poitrine. En Mat. 28,16-18 Jésus pose le pied sur le mont des Oliviers et tout pouvoir lui a été donné dans le ciel et sur la terre. Les disciples ont le pouvoir de chasser les démons, de parler dans de nouvelles langues, d'avoir des visions, d'être invulnérables aux breuvages mortels, aux piqûres de serpents et de scorpions, de guérir les malades. (Marc 16,17-18; Luc 10,19; Act. 2,1-20;...)

 

L'attente de la Parousie

 

En réalité, pour l'Église primitive, l'accomplissement de la Parousie n'a jamais cessé d'être une espérance, une espérance à très court terme mais dont l'échéance sera continuellement repoussée. Les versets abondent en ce sens.

 

- Selon Jésus :

« Je vous le dis en vérité, vous n’aurez pas achevé de parcourir les villes d’Israël, que le fils de l’homme sera venu. » (Mat. 10,23)

Mat. 24,34 : «… cette génération ne passera point que tout cela n'arrive. »

Ou encore: « Je vous le dis en vérité, quelques uns de ceux qui sont ici ne mourront point, qu'ils n'aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance.» (Mc. 9,1)

 

- Selon les apôtres :

1 Cor. 15,51-52: « Voici, je vous dis un mystère : nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons changés, en un instant, en un clin d`œil, à la dernière trompette

1 Jn.2, 18-19: « Petits enfants c'est la dernière heure... »

Héb. 10,37-38: « Encore un peu, un peu de temps, celui qui doit venir viendra, et il ne tardera pas. »

Col. 3,4: « Quand Christ, notre vie paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire.»

1 Cor. 1,7-8: « Dans l'attente où vous êtes de la manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ. »

Ti. 2,13-14: « ... en attendant la bienheureuse espérance, et la manifestation de la gloire du Grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. »

 

... et d'exhorter les fidèles à la patience, à l'obéissance et à la vigilance car « le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit. » (2 Pi. 3,10)

Jac.5,7 : « Soyez donc patients, frères, jusqu'à l'avènement du Seigneur. »

2 Thes. 2,6-7: « Et maintenant vous savez ce qui le retient, afin qu'il ne paraisse qu'en son temps. »

2 Pi. 3,8-10 : « ...devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas dans l'accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient ; mais il use de patience envers vous... »

Mat. 25,13 : « Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, mais le Père seul. »

 

Les dérapages d'une telle espérance

 

Si les apôtres s'efforcent d'encourager les fidèles dans leur espérance, force est de constater qu’ils ont le souci de la vérité car ils condamnent, tout autant, les mensonges, les fausses espérances.

En 2 Thes. 2,1-3: « Pour ce qui concerne l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et notre réunion avec lui, nous vous prions frères, de ne pas vous laisser ébranler dans votre bon sens, et de ne pas vous laisser facilement ébranler, soit par quelque parole ou par quelque lettre qu'on dirait venir de nous, comme si le jour du Christ était déjà là. »

 

En 2 Tim. 2,17-18: « De ce nombre sont Hyménée et Philète qui se sont écartés de la vérité, disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui renversent la foi de quelques-uns. »  Le texte de Matthieu apparaît ainsi directement visé par Paul.

 

Rappelons les injonctions prononcées par Jésus :« Si quelqu’un vous dit alors : le Christ est ici, ou : Il est là, ne le croyez pas. [...] Si donc on vous dit : voici, il est dans le désert, n’y allez pas; voici il est dans les chambres, ne le croyez pas. En effet, comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’en occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. » (Mat.24,23-27) (A noter l’insistance sur la localisation : «ici», «là», «dans le désert», «dans les chambres ». Détails qui accréditent la thèse des fausses apparitions du Christ ressuscité. [9] Dans cette confusion chronologique, Jésus serait devenu le porte-parole des apôtres.)

 

Constatons, qu’à tout moment, dans les épîtres, les apôtres dénoncent les fables et les fausses doctrines. Tout se passe comme si la "vérité" apostolique avait eu le plus grand mal à s’imposer dans les premières communautés chrétiennes.

 

2 Cor.2,17 : « Car nous ne falsifions point la parole de Dieu comme font plusieurs; mais c'est avec sincérité, mais c'est de la part de Dieu, que nous parlons en Christ devant Dieu. »

 

1 Thes. 2,3-4 : « Car notre prédication ne repose ni sur l'erreur, ni sur des motifs impurs, ni sur la fraude; [...] ainsi nous parlons, non comme pour plaire à des hommes, mais pour plaire à Dieu [...]

 

2 Pi. 1,16 : « Ce n'est pas, en effet, en suivant des fables habilement conçues, que nous vous avons fait connaître la puissance et l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ ... »  (suit un témoignage qui n'a rien à voir avec des apparitions du ressuscité)

 

2 Tim. 4,3-4 : « Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison d'entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l'oreille de la vérité, et se tourneront vers les fables. »

 

Tite 1,13-14 : « C'est pourquoi reprends-les sévèrement, afin qu'ils aient une foi saine, et qu'ils ne s'attachent pas à des fables judaïques et à des commandements d'hommes qui se détournent de la vérité. »

 

1 Tim.1,3-4 : « ... afin de recommander à certaines personnes de ne pas s'attacher à des fables et à des généalogies sans fin,[10] qui produisent des discussions plutôt qu'elles n'avancent l’œuvre de Dieu dans la foi. »

 

Jude 8 : «  ...ces hommes aussi, entraînés par leurs rêveries,... »

 

2 Tim.2,8-9 : « Souviens-toi de Jésus-Christ, issu de la postérité de David, ressuscité des morts, selon mon Évangile, ... »

 

2 Cor. 11,3-4 : « ... je crains que vos pensées ne se corrompent et ne se détournent de la simplicité à l'égard de Christ. »

 

1 Tim. 6,3-4 : « Si quelqu'un enseigne de fausses doctrines, et ne s'attache pas aux saines paroles de notre Seigneur Jésus-Christ et à la doctrine qui est selon la piété, il est enflé d'orgueil, ... »

 

Act. 20,29-31 : « Je sais qu'il s'introduira parmi vous, après mon départ, des loups cruels qui n'épargneront pas le troupeau, et qu'il s'élèvera du milieu de vous des hommes qui enseigneront des choses pernicieuses, pour entraîner les disciples après eux. »

 

Gal. 1,9 : «  ... si quelqu'un vous annonce un autre Évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème! »

 

1 Tim. 4,7-8: « Repousse les contes profanes et absurdes, exerce-toi à la piété; »

 

1 Tim. 6,20-21 : « O Timothée, garde le dépôt, en évitant les discours vains et profanes, et les disputes de la fausse science dont font profession quelques-uns, qui se sont ainsi détournés de la foi. »

 

2 Tim. 2,16 : « Evite les discours vains et profanes; »

 

2 Tim. 2,23-24 : « Repousse les discussions folles et inutiles, sachant qu'elles font naître des querelles. »

 

Heb. 13,9 : « Ne vous laissez pas entraîner par des doctrines diverses et étrangères; »

 

Éph. 4,14 : « ... afin que nous ne soyons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine »

 

2 Jn. 9 : « Quiconque va plus loin et ne demeure pas dans la doctrine de Christ n'a point Dieu; »

 

La foi primitive

 

La Croix a mis un terme à l’aventure du Nazaréen.[11] Elle a été un désaveu cinglant pour les disciples et « la logique voulait que tout s’arrêtât là » comme l’écrit Charles Guignebert ("Le Christ", Albin Michel, 1969). Privée de son prophète, cette secte messianique paraissait condamnée à brève échéance. Or il n’en a rien été. Bien au contraire.

Comment expliquer un tel retournement de situation ?

 

De toute évidence, les disciples ont été bouleversés par la mort de leur maître, ébranlés dans leurs certitudes. Néanmoins il serait exagéré de parler de déroute. Flottement serait plus exact. N'oublions pas que ces hommes sont des Juifs qui sont accoutumés de penser que du plus grand mal va peut-être sortir le plus grand bien. Ajoutons qu'ils ont été profondément marqués par le charisme du Nazaréen ainsi que par le contenu de son message, qu'ils ont une foi absolue en Dieu et en sa Parole.

 

La découverte inattendue du tombeau vide va être le point de cristallisation de l’espérance chrétienne (Lc. 24,22-24; Matt. 28,6-7)

Si, dans un premier temps, les disciples, supposent que le corps a été dérobé, très vite leurs interrogations restent sans réponses. Ils sont désemparés. Qu’est-il advenu du corps, qui sont donc les coupables ? « (…) ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis. » (Jn. 20-13)

Une polémique s’installe (cf. Mat. 28,13-15). Les disciples soupçonnent les autorités juives mais la rumeur publique retourne l‘accusation contre les disciples.

 

En l’absence de preuves et dans l’impossibilité de retrouver le corps, cette disparition se transforme en mystère, mystère d’autant plus épais que le climat émotionnel est extrême. Leurs esprits sont survoltés, révoltés. Ils veulent comprendre, trouver du sens à tout cela. Leur foi en l’imminence du royaume de Dieu aurait-elle été vaine ? Avec leur Maître n’avaient-ils pas guetté les signes de son accomplissement ? Que restait-il sinon la Parole de Dieu (c’est-à-dire les Prophètes) ? C’est donc le cœur plein de détermination qu’ils "sondent" les Écritures ou plutôt c’est par la foi qu’ils vont trouver de nouvelles raisons d’espérer… Une foi nouvelle émergera qui se consolidera en se majorant.

 

S‘enfermant donc dans une logique de foi, ils se construisent tout un système d’explications qu’ils assimilent à la Parole de Dieu. Dès lors que cette foi était ancrée en eux toute explication rationnelle était définitivement écartée.[12]

 

Essayons de reconstruire le raisonnement des disciples :

 

- Jésus est un homme (Act. 2,22-23) qui a été livré selon la prescience de Dieu et crucifié. L'Esprit de l’Eternel reposait sur lui (És. 11,1). Dieu a annoncé par la bouche de ses prophètes que Jésus devait souffrir. Jésus est le serviteur souffrant de l'Éternel (Act. 3,17-18 ; És. 53,3-5 ; És. 53,10  És. 66,2). L'Éternel a permis que son serviteur soit brisé, humilié et tué pour le péché de tous. Il a été mené comme une brebis à la boucherie (Act. 8.32-33 ; És. 53). Les israélites ont agi par ignorance.(Act. 3,17-18 ; Act. 13,27).

 

- La résurrection de Jésus a été annoncée par les prophètes[13]. (Os.6,1.) Dieu l'a délivré des liens de la mort parce qu'il n'était pas possible qu'il fut retenu par elle. Il n’a pas permis que son bien-aimé voie la corruption (Act. 13,35 ; Ps. 16,10-11).

 

- Le tombeau vide est la preuve matérielle que Jésus est bien ressuscité.[14] (Mat.28. 6-7)

 

Dieu a élevé Jésus en le ressuscitant. Par sa résurrection il a donc triomphé de la mort. Il est le premier-né d'entre les morts (És. 25,8; Ps. 16,8-11; Act. 26,22-23).

Cette résurrection constitue en fait les prémices de la résurrection générale. Le Jour de l'Éternel est donc tout proche. (És. 25,8; És. 26,19; Os. 13,14; 1Cor. 15,54; Dan. 12,2 ; Ez. 37,12-13) Croire en l'imminence de la résurrection des saints c'est donc d'abord croire en la résurrection de Jésus. (1 Cor. 15, 13-19)

 

- Jésus est le bien-aimé (Ps. 16,10), le messager de l'Éternel (Mal. 3,1) , un prophète comme Moïse (Act. 3,22-23; Deut. 18.18-19) le fils de Dieu (Act. 13,33; Ps. 2,7). Dieu l'a récompensé pour son sacrifice. Il l'a désigné comme Messie (= Christ) (Act. 2, 36) et il va revenir[15]. Si le ministère terrestre de Jésus a été marqué par l'humilité et le dépouillement, son ministère céleste est désormais marqué par l'honneur, la puissance et la gloire (1Pi. 1,20-21 ; Ps. 2,7-12 ; 2 Sam. 7,12-13;). La personne de Jésus subit ainsi toute une transposition.[16]

Pour les disciples la revanche est éclatante. Si avant leurs yeux étaient obscurcis, maintenant, ce mystère caché pendant des siècles a été manifesté par les écrits des prophètes (Rom. 16,25-26). Ce qui apparaissait comme un échec s’était, soudain, transformé en victoire. [17]

Leur raisonnement va se transformer en certitudes car « il est impossible que Dieu mente [...], le seul refuge a été de saisir l'espérance qui nous était proposée. »  (Héb. 6,18)

 

Enfermés dans leur logique, cramponnés à leurs certitudes, les apôtres vont se raidir. « Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ ? » (1 Jn. 2,22) «  ... la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; » (1 Cor. 1,18). Et de reprocher aux incrédules d'avoir « le cœur endurci ».

 

Les apôtres vont aussi se présenter comme des victimes. 1 Cor. 4,10-13:

« ... injuriés nous bénissons, persécutés, nous supportons; calomniés, nous parlons avec bonté; nous sommes devenus comme les balayures du monde, le rebut de tous, jusqu'à maintenant. »

Si ces découvertes scripturaires répondaient aux premières interrogations, elles ne pouvaient manquer de susciter de nouvelles interrogations, ce qui devait conduire à de nouvelles recherches et bien sûr à de nouvelles découvertes.[18] Un processus était ainsi engagé par les disciples qui sera poursuivi par plusieurs générations de chrétiens, jusqu'à ce que l'Église réagisse, tardivement, à certains excès.

 

Ainsi, en l’absence de toute biographie de Jésus[19] et, partant de l'idée qu’il était l'accomplissement des prophéties, il était, évidemment, tentant de "reconstituer" la vie du personnage. Pris dans cette logique de la foi, le croyant était persuadé de se rapprocher de la "vérité historique" et cette vérité était, bien entendu, inattaquable, puisque fondée sur les sacro-saintes Écritures. Certaines petites phrases de nos évangiles laissent d’ailleurs entrevoir cette démarche bien singulière.

 

Par exemple Mat. 21,4-5: « Or, ceci arriva afin que s'accomplit ce qui avait été annoncé par le prophète: » (suit une citation de Zach. 9,9) ou bien en Mc. 14,49: « Mais c'est afin que les Écritures soient accomplies. »

 

En étudiant attentivement la correspondance entre les prophéties et leur accomplissement, on peut émettre des doutes sur leur pertinence.

Par exemple, Ésaïe 53 est sensé annoncer le ministère terrestre et céleste de Jésus-Christ. Si tout semble à peu près cohérent jusqu'au verset 10, les choses deviennent beaucoup moins claires par la suite. Il nous est dit, en effet, qu'après sa mort il verra une postérité et qu'il prolongera ses jours. Voir une postérité c'est avoir une descendance et prolonger ses jours ne signifie pas bénéficier de la vie éternelle. Plus loin nous apprenons qu'il recevra sa part de butin avec les puissants (v. 12). Pourquoi butin ? Qui sont les puissants ? On ne voit pas très bien le rapport.

A y regarder de plus près ces prophéties ne sont que des passages tirés de leur contexte.

Autre exemple en Zach. 9,9: « Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem! Voici, ton roi vient à toi; il est juste et sauveur, il est humble et monté sur un âne, sur un âne, le petit d'une ânesse. »  Cette prophétie est sensée s'être réalisée en Math. 21,1-11. Si nous poursuivons la lecture de Zacharie on nous parle de la destruction des chars d'Ephraïm et des chevaux de Jérusalem, de captifs qui doivent retourner dans une forteresse. Replacée dans son contexte cette prophétie s'accorde finalement assez mal.

 

Une fable devenue dogme

 

Il est manifeste que ce ne sont pas les "apparitions" qui ont provoqué la foi en la résurrection ; elles n’en ont été, tout au plus, que la confirmation. Un cheminement où la foi s’est nourrie d’elle-même. En effet, si les disciples ont été persuadés "avoir vu" le Seigneur ressuscité, c’est d’abord parce qu’ils ont cru que leur Maître était ressuscité, mais cette foi reposait elle-même sur la conviction que tout était annoncé dans les Écritures, conviction qui à son tour s’appuyait sur la certitude que les Écritures étaient la parole de Dieu, donc la Vérité.

 

Si Jésus était vivant il était malheureusement invisible. Situation ô combien frustrante ! Pour ces fidèles de la première heure, assoiffés de certitudes, un seul recours : prier. Prier avec ferveur et obstination dans l’espoir que l’Éternel ou Jésus se manifeste, prier pour des réponses lumineuses, consolantes, pour des confirmations indiscutables. Prier en se laissant toucher, illuminer par le Saint Esprit, cette puissance d’en Haut, surnaturelle, ce pont entre le ciel et la terre (tout comme l’éclair ou les rayons du soleil, ce que l’Évangile appelle des « langues de feu. »). De toute évidence, l’atmosphère de profonde exaltation mystique semble être à l’origine de manifestations spirituelles (glossolalie, visions, songes, prophéties…). Happening délirant, qui laisse les observateurs perplexes, convaincus que ces individus sont dans un état d’ébriété avancé (Act.2, 13). Pour les disciples rien de bien alarmant ou d’embarrassant, du moins au départ. Ces manifestations ne faisaient-elles pas partie des dons de l’Esprit annoncés par les prophètes… lorsque les Temps de la fin seraient proches ? (Act. 2, 14-21)

Dans la communauté primitive ces "contacts" directs avec le divin ou avec le Ressuscité vont faire recette, et, la foi aidant, ou pour les besoins de la propagande, ou pour asseoir son autorité personnelle, certains de ces "contacts" ont très bien pu être qualifiés d’apparitions, à moins que le terme ne désigne, de façon plus générale, une catégorie bien particulière de manifestations spirituelles… Nous sommes loin, en tous les cas, de la légende dorée.

 

Moment d’excès, moment de contagion mystique, où un certain nombre de fidèles ont pris leurs désirs pour la réalité. C’est dans ce contexte que des rumeurs ont commencé à circuler qui affirmaient que le jour de Christ était déjà là, que Christ s’était même manifesté, que des morts aussi étaient ressuscités…

A l’exultation des uns répondait le scepticisme des autres et c’est dans ce camp que se sont rangés les apôtres [20]. Très vite ils ont pris conscience que ces fausses nouvelles menaçaient la cohésion de l’Église, menaçaient la crédibilité même de leur Évangile. Aussi les ont-ils condamnées fermement espérant rétablir leur vérité.

 

L’Évangile prêché par les apôtres aurait donc été, très tôt, corrompu par « des contes profanes et absurdes » ? [21] Pour un chrétien d’aujourd’hui, il est inconcevable que les apôtres aient ainsi pu échouer dans le rétablissement de la saine doctrine.

Tout d’abord observons qu’ils vivaient une espérance à court terme, qu’il leur était donc impossible de se projeter dans un futur à long terme. Tout montre, aussi, qu’ils se sont battus pour défendre leur Évangile mais en gardant de la distance et en faisant preuve d’une grande prudence. Ne voulaient-ils pas éviter « les discussions folles et inutiles » qui « font naître des querelles » ?

Combat, somme toute, inutile et ils s’y étaient résignés. Ces fables et ces fausses doctrines ils les percevaient comme un signe des temps (1Tim. 4,1-2 ; 2 Tim. 4,3-5). A quoi bon, donc, s’acharner à les combattre. N’avaient-ils pas la profonde conviction que la "Vérité" finirait par triompher très bientôt ?

Ajoutons qu’avec le temps et l’éloignement géographique ces mises en garde ont été largement incomprises. La Foi (crédule) empêchait toute compréhension rationnelle.

 

Comme l’Évangile primitif comportait au départ beaucoup de zones d’ombre (de "mystères") et qu’il n’avait, pas encore, son caractère dogmatique, l’imagination des fidèles a comblé les inquiétudes de la Foi. La soif de merveilleux a donné un écho positif à ces fables colportées, bien souvent, sous le manteau. Crédulité qui reflétait la piété des "simples", la piété de ceux qui ne demandaient qu'à en croire plus. C’est sur ce terreau que s’est développée la légende évangélique. Une légende bâtie sur des rumeurs, des témoignages invérifiables, mais aussi sur des raisonnements simplistes, des affirmations gratuites, des interprétations douteuses des textes prophétiques. La rigueur historique importait peu. Il était alors courant d’ajouter foi à des faits singuliers, voire fantastiques. Un récit faisait autorité simplement parce qu’il paraissait familier ou qu’il avait été transmis oralement depuis des générations.[22]

Notons que cette tradition orale n'exclut nullement la présence, dès le 1er siècle, d'écrits "évangéliques" dans les communautés primitives, écrits qu'il ne faudrait cependant pas confondre avec nos évangiles dans leur version définitive. Recopiés par plusieurs générations de scribes, ces manuscrits ont été, dans une très large mesure, rectifiés ou complétés selon "l'inspiration" du moment, selon les évolutions de la foi chrétienne[23], selon les données fournies par la sacro-sainte "Tradition orale" [24], c’est-à-dire selon des critères fort contestables pour un historien actuel.[25]

En l’absence de tout canon, la légende évangélique s’est amplifiée au 2e et 3e siècle. Un foisonnement de récits merveilleux[26] qui s’appropriaient les périodes obscures de Jésus. Pour les autorités religieuses la situation devenait de plus en plus préoccupante. Ces récits ne portaient-ils pas atteinte à la crédibilité de l’Évangile ?

 

Finalement, sous la poussée conjuguée des gnostiques dont les évangiles pullulaient, et des marcionites qui, au contraire, prétendaient réduire l'Ecriture sainte à quelques épîtres de Paul et à un évangile de Luc mutilé, les églises se sont mises à dresser la liste officielle des œuvres inspirées par la vraie foi avec le discernement que l’on connaît.

Après quelques flottements, le Canon [27] n’a trouvé sa forme définitive qu’au IVe siècle… c’est-à-dire trop tard. Les « contes profanes et absurdes » dénoncés par les apôtres avaient depuis longtemps infiltré l’Évangile. Devenu, désormais, histoire sainte, l’Évangile se figeait en quatre livres distincts : nos évangiles. Ainsi forte d’un "corpus" évangélique, l’Église s’autorisait à rejeter les autres écrits, ceux dont l’authenticité lui paraissait douteuse ou non divinement inspirés, et qu’il valait alors mieux cacher sous le qualificatif d’apocryphes.

En triomphant de "l'Erreur" la "Vérité" était devenue dogme.[28]

 

Pour les théologiens des siècles futurs que de trésors d’ingéniosité seront nécessaires  pour éclairer cette "Vérité" !

 

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[1]  Dans l’évangile de Pierre, qui est une amplification littéraire du récit synoptique, on y relève un trait particulier qui peut difficilement être mis au compte de son rédacteur. C’est l’idée que, de la tombe, Jésus est directement retourné au lieu d’où il était venu, c’est-à-dire au ciel. Alors que tous les autres récits de découverte du tombeau vide que nous possédons, contiennent une annonce de christophanie, le récit de l’évangile de Pierre n’en contient pas et même paraît exclure toute idée de christophanie par l’affirmation de Jésus monté au ciel.

[2]  Ce récit suscite toutes sortes de difficultés. Comment les membres du Sanhédrin ont-ils pu savoir que trois jours après sa mort il ressusciterait ? Jésus n’a jamais parlé de sa résurrection d’une manière précise en présence de ses ennemis. Pour empêcher une imposture de la part des disciples, une garde a donc été placée devant le tombeau. A l’aube, nous dit-on, survient un grand tremblement de terre et un ange de lumière  descend du ciel pour rouler la pierre. On nous précise que « les  gardes  tremblent de peur et deviennent comme morts » (Mat.28, 4). Puis ils vont trouver les principaux sacrificateurs pour raconter leur mésaventure. L’attitude des autorités juives apparaît déconcertante. Comment ces hommes, dont on ne peut penser à priori qu’ils étaient naïfs, pouvaient-ils accepter avec autant de facilité les déclarations de la garde? Aucun scepticisme de leur part. Ils auraient du réagir par la colère à de telles allégations: « Vous mentez, vous avez dormi, vous avez laissé voler le corps. Vous allez payer cher votre négligence. » Si l’on admet que les membres du Sanhédrin ont effectivement cru en la résurrection de Jésus, ils auraient du se montrer effondrés, or on ne nous décrit aucune manifestation de consternation, de repentir. Au lieu de cela ils ordonnent aux soldats de mentir, de dire qu’ils ont dormi et laissé voler le corps. Ils leur donnent une forte somme d’argent et promettent de les excuser auprès du gouverneur (alors qu’il y a eu manquement grave au service. Ces garanties paraissent donc bien peu crédibles. Par ailleurs on voit mal comment ces hommes, profondément traumatisés par ce qu’ils avaient vu, étaient  en état de se  laisser  corrompre  pour répandre une fausse rumeur, qui plus est, une rumeur qui leur faisait du tort.). On peut  s’interroger  sur  la crédibilité d’un  tel mensonge. Mentionnons à ce titre la réflexion de Saint Augustin: « Si les soldats dormaient, que pouvaient-ils voir? et s’ils n’ont rien vu, quelle peut être la valeur de leur témoignage? » Les membres du Sanhédrin, qui  voulaient  éviter une imposture, se font imposteurs à leur tour. En plus un tel mensonge les couvre de ridicule. Ainsi, le corps aurait été dérobé par les disciples, à la barbe des autorités,  en  dépit  des  précautions  prises ! Vraiment ce n’est pas  sérieux ! L’incrédulité des autorités posant problème, les théologiens ont préféré invoquer l’endurcissement. Force est de constater que la thèse de l’endurcissement ne se vérifie nulle part dans les textes. A l’annonce de la résurrection par les disciples, les autorités juives se montrent en effet, surprises et indignées. Manifestement elles ne sont pas au courant après la proclamation de Pierre (Act. 4, 8-14). L’épisode avec Gamaliel apparaît à cet égard significatif. Ce docteur de la loi parvient à apaiser le commandant du temple et les principaux sacrificateurs en leur demandant de se montrer d’un scepticisme vigilant (Act. 5, 33-39). La prédication des apôtres confirme d’ailleurs ce point de vue. S’adressant au peuple, Pierre déclare (après avoir annoncé la Résurrection): « Et maintenant,  frères,  je sais que vous avez agi par ignorance, ainsi que vos chefs. » (Act. 3, 17-18) Observons que, nulle part ailleurs, dans le Nouveau Testament, nous ne trouvons la moindre mention d’une garde devant le tombeau ni d’une quelconque tromperie de la part des autorités juives. Le caractère non-apostolique de cette anecdote paraît évident. En revanche, la rumeur de l’enlèvement du corps par les disciples semble bien réelle. C’est d’ailleurs, sans doute, pour réfuter cette calomnie que les chrétiens ont imaginé cette légende. Dès lors ils pouvaient répondre hardiment à cette calomnie par la question: «Comment le corps aurait-il pu être dérobé puisqu’une garde avait été postée devant le tombeau et que la pierre était scellée? »

 

[3]  Largumentation chrétienne peut, ainsi, glisser rapidement vers le sophisme : « Si vous ne pouvez pas prouver que nous sommes dans l’erreur, c’est donc que nous sommes dans la vérité. »

[4]  Les évangiles auraient été écrits entre l’an 70 et 100, les épîtres les plus anciennes vers l’an 50. Précisons qu’il n’existe, à ce jour, de ces textes, aucun document autographe. Ils ne sont que des copies de copies de copies… et tout montre qu’ils ont subi, certaines "transformations" (cf. notes de bas de page p. 30). Ajoutons que, dans les premières communautés chrétiennes, les lettres des apôtres faisaient davantage autorité que les évangiles qui se présentaient comme issus d’une longue tradition orale et dont les contours étaient mal définis. Les évangiles mettront ainsi beaucoup plus de temps à s’imposer.

 

[5]  Dans les évangiles, les miracles de Jésus apparaissent comme des manifestations surnaturelles, tellement spectaculaires qu’elles suscitent l’admiration ou l’effarement des foules. Même les disciples sont sidérés par ce qu’ils voient. Ces miracles exhibés comme des signes de puissance ou d’élection divine, permettent ainsi au Fils de Dieu de se faire connaître et « d’acquérir une grande renommée ». Pourtant, très vite, le lecteur se heurte à des difficultés. Jésus semble ne pas comprendre l’étonnement qu’il suscite (Mc.5, 43). Il prétend même que faire des miracles est à la portée de n’importe qui, à condition d’avoir la foi « comme un grain de sénevé». « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et vous le verrez s’accomplir. »  (Mat. 17,19-20 ;  Mc. 11,22-24 ; Lc. 17 : 5-6). Il encourage d’ailleurs dans ce sens ses disciples (Mat.10,5-8). En somme il banalise le miracle. Si Jésus guérit des foules entières, ressuscite des morts, change l’eau en vin, multiplie des pains, marche sur les eaux, arrête une tempête, il recommande aussi, sévèrement, de ne pas le faire savoir (Mat.8,4 ; Mat.9,30-31 ; Mat.12,15-16 ; Mc.5,43). Pourquoi un tel souci de discrétion si son intention était de se faire connaître ? C’est d’autant plus surprenant que Jésus peut parfois adopter une position tout à fait inverse. En Mat.11,2-6, à la question de savoir s’il est le Christ, Jésus répond : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » (injonction autoritaire pour un discours convenu, ce qui est tout le contraire d’un témoignage spontané… mais comment pouvait-il en aller autrement puisque ces versets ne sont qu’une relecture d’ Es. 35,5-6.) Alors que les évangiles tentent d’accréditer la thèse selon laquelle les miracles sont des preuves manifestes de messianité, ils nous apprennent, toutefois, que Jésus a mis en garde ses disciples contre les faux Christs, les faux prophètes, car, annonce-t-il : « ils feront des prodiges et des miracles, au point de séduire même les élus » (Mat.24,24) Constatons que les miracles de Jésus dépendent souvent de la foi des gens qu’il côtoie, à tel point qu’on peut se demander si ce sont ses pouvoirs qui produisent les guérisons. Le simple fait de toucher son vêtement suffit à guérir (Mc.6,56).  Mais s’agit-il vraiment de foi ? Lorsque les évangiles nous disent « qu’il ne fit pas beaucoup de miracles dans ce lieu » c’est pour ajouter aussitôt « à cause de leur incrédulité » (Mat.13,57-58). Du reste le manque de foi (ou de crédulité ?) semble beaucoup contrarier Jésus (Mat.8,26 ; Mat.14,31-32 ; Mat.17,17-18). En Math.12,38, alors que les pharisiens demandent un miracle, Jésus, agacé, leur répond : «Une génération méchante et adultère demande un miracle ; il ne lui sera donné d’autre miracle que celui du prophète Jonas. » (Math. 12,39). Jésus le thaumaturge accumule donc bien des contradictions. Si ses miracles laissent croire, par moments, qu’il est Tout-puissant, en d’autres circonstances il se révèle particulièrement impuissant, notamment sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Math. 27,46-47) S’il n’hésite pas à "donner" dans le spectaculaire devant des foules béates d’admiration, il n’en cherche pas moins à se montrer discret… au point d’interdire qu’on ébruite ses exploits ou même qu’on révèle qu’il est le Christ. S’il a des pouvoirs surnaturels sensés authentifier son statut de Messie, il n’en laisse pas moins entendre que des hommes ordinaires peuvent disposer des mêmes pouvoirs. Observons que dans les épîtres les apôtres semblent totalement ignorer les miracles de Jésus et que les sources profanes n’ont guère plus d’informations à nous apporter, ce qui pose un réel problème. Or, si l’on se place du point de vue du croyant des générations post apostoliques, les apôtres ainsi que les nombreux autres "témoins", savaient, assurément, ce qui s’était réellement passé. Comment expliquer que des récits aussi spectaculaires n’aient jamais été confirmés par des témoignages directs dûment répertoriés ? Une seule explication : les témoins se sont tus, ce qui paraît inexplicable… sauf si l’on admet que c’est Jésus qui avait formellement interdit d’en parler (quant aux ennemis de Jésus l’explication est simple : ils étaient aveuglés ou endurcis). Explication qui trouve très vite ses limites. Pourquoi cette étrange interdiction ? De plus si tous les témoins avaient obéi, comment aurait-on eu connaissance des miracles du Seigneur? Bien embarrassant en vérité ; certes, l’interdiction pouvait passer pour un mystère qui relevait de la seule compétence du Fils de Dieu (il n’était donc pas assujetti à cette obligation), mais le rédacteur de l’Évangile se devait d’apporter une réponse claire sur l’origine de ces récits. Celle qui a été retenue est étonnante par sa naïveté : si nous avons eu connaissance des miracles du Seigneur, c’est (fort opportunément) parce que des témoins ont, délibérément, désobéi. Supposition qui, la foi aidant, est devenue affirmation. Ainsi peut-on lire en Mc. 7 : 36-37 : « Jésus leur recommanda de n’en parler à personne ; mais plus il le leur recommanda, plus ils le publièrent. » Autre problème, non résolu : pouvait-on demander à des foules entières (et enthousiastes) de se taire ? A vouloir concilier "Tradition orale", lettres apostoliques et sources profanes ou si l’on préfère, "légende évangélique" et "vérité historique", nombre de difficultés seraient donc apparues. Par souci de "vérité" ou de cohérence, les scribes du christianisme naissant (qui étaient, rappelons-le, des croyants) se seraient, alors, efforcés de trouver des "explications" convaincantes. Sans doute ont-ils cru à l’inspiration divine mais, si l’on prend du recul par rapport aux textes, le résultat relève plutôt du bricolage (un bricolage pour le moins simpliste) avec bien des obscurités laissées sans solutions. Qu’à cela ne tienne, ces obscurités sont devenues des mystères à accepter par la foi.

[6]  En 1 Cor. 15, 1-8 Paul dresse la liste des témoins du Christ ressuscité, sans plus. L’apôtre préfère s’en tenir à des raisonnements très subtils pendant tout le reste du chapitre : « Comment quelques-uns parmi vous disent-ils qu’il n’y a point de résurrection des morts ? S’il n’y a point de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi est vaine.(…) Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons. (…) Mais quelqu’un dira : Comment les morts ressuscitent-ils, et avec quel corps viennent-ils ? Insensé ! ce que tu sèmes ne reprends point vie, s’il ne meurt. (…) Il y a aussi des corps terrestres et des corps célestes ; mais autre est l’éclat des corps célestes, autre celui des corps terrestres. (...) Toute chair n’est pas la même chair ; mais autre est la chair des hommes, autre celle des quadrupèdes, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons. (…) » (1 Cor. 15, 12-58). Si Paul avait la possibilité de prouver la Résurrection grâce aux apparitions matérielles, en s’appuyant sur des témoignages précis, authentifiés, répertoriés, pourquoi se donne-t-il tellement de mal à disserter sur le sujet ? De toute évidence parce que ce type de témoignage n’a jamais existé. Ce qu’il évoque, en revanche, ce sont des visions, c’est-à-dire des témoignages subjectifs (dont sa propre expérience) et on peut présumer qu’il en était bien conscient. Dans ces conditions, il aurait été irréaliste et même malhonnête, de faire passer les apparitions pour des preuves éclatantes, indiscutables. Aussi, convient-il, à l’exemple de Paul, de ne pas donner trop d’importance aux témoins, même si, pour l‘apôtre, les visions sont loin d’être des illusions. N’ont-elles pas bouleversé sa vie, ne lui donnent-elles pas autorité pour son ministère ? A ses yeux, les vrais, les seuls témoins dignes de foi, sont ceux qui ont rencontré spirituellement le Christ ressuscité, quelque soit le mode opératoire, quelque soient les circonstances, mais comme cette rencontre est une affaire privée (potentiellement délicate car contestable), il préfère rester flou sur le sujet.

 

[7]  Notons, qu’il existe dans les Actes deux brèves allusions à des manifestations « matérielles » du ressuscité. La première se trouve  dans une prédication de l’apôtre Pierre, la deuxième dans une prédication de l’apôtre Paul. En Act. 10,38-43: « ... et il a permis qu’il apparût, non à tout le peuple, mais aux témoins choisi d’avance par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui après qu’il fut ressuscité des morts. »En Act. 13,16-41: « Quoiqu’ils ne trouvassent en lui rien qui fût digne de mort, ils ont demandé à Pilate de le faire mourir. Et après qu’ils eurent accompli tout ce qui est écrit de lui, ils le descendirent de la croix et le déposèrent dans un sépulcre. Mais Dieu l’a ressuscité des morts. Il est apparu pendant plusieurs jours à ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jérusalem, et qui sont maintenant ses témoins auprès du peuple. Et nous, nous vous annonçons cette bonne nouvelle que la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie pour nous leurs enfants, en ressuscitant Jésus, selon ce qui est écrit dans le Psaume deuxième... » Ces deux allusions ne manquent pas de surprendre car elles sont en totale contradiction, comme nous venons de le voir, avec les idées défendues par les apôtres. Si vraiment leur objectif était de convaincre, pourquoi sont-ils aussi discrets sur les apparitions? Dans ces deux textes ces brèves allusions sont glissées en plein milieu du discours sans véritable rapport avec le contenu général. Pierre insiste sur la mission qui a été confiée aux apôtres tandis que Paul annonce la bonne nouvelle en s’appuyant sur les prophètes. En ce qui concerne le premier passage, on se souviendra que la Cène a été le dernier repas du Seigneur avec ses disciples «  jusqu’à ce qu’il vienne »  (1 Cor.11,26), c’est-à-dire jusqu’à l’avènement du royaume de Dieu. (Mat.26, 29). Tout porte à croire, par conséquent, que ces deux allusions sont des interpolations. Observons que si nous les supprimons, le texte paraît moins lourd et l’ensemble du discours gagne en cohérence. Dans Act. 10,38-43 : « ... et il a permis qu’il apparût, non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d’avance par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui »  (donc à ceux qui avaient vécu dans l’intimité du Seigneur). Dans Act. 13,16-41 : « Quoiqu’ils ne trouvassent en lui rien qui fût digne de mort, ils ont demandé à Pilate de le faire mourir. Et après qu’ils eurent accompli tout ce qui est écrit de lui, ils le descendirent de la croix et le déposèrent dans un sépulcre. Mais Dieu l’a ressuscité des morts. Et nous, nous vous annonçons cette bonne nouvelle que la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie pour nous leurs enfants, en ressuscitant Jésus, selon ce qui est écrit dans le Psaume deuxième... »  (Ce sont donc les prophéties qui attestent que Jésus est ressuscité, pas les apparitions.)

[8]  Remarquons que la logique de la foi chrétienne se complaît dans le paradoxe, ce qui offre un avantage évident pour le croyant : celui de ne jamais être pris au dépourvu, d’avoir toujours une "bonne" réponse. En voici quelques exemples tirés des Écritures ou entendus dans nos églises :

- Si la Foi est une révélation de Dieu, cette révélation n’en comprend pas moins des mystères... qui ne nous sont pas révélés.

- Jésus-Christ reviendra bientôt. Veillons-donc ... mais «nul ne connaît le jour et l’heure» car pour Dieu «un jour est comme mille ans».

- Par son sacrifice Jésus-Christ nous lave définitivement de tout péché. Malgré cela on nous exhorte à ne pas tomber dans le péché et nous prions Dieu qu’il nous délivre de la tentation et du Mal.

- On parle du don gratuit de Dieu, en la personne de Jésus-Christ, mais on souligne aussi le prix à payer car le Dieu de la Bible n’est pas un Dieu au rabais.

- Le diable existe. Si nous ne le voyons pas, c’est qu’il nous fait croire qu’il n’existe pas.

- Dieu est amour et patience infinie mais il est « jaloux » et « prompt à la colère ».

- Dieu est amour mais il permet que nous soyons éprouvés.

- Le plus grand témoignage de Foi c’est de demander à Dieu l’impossible. Demander à Dieu des choses ordinaires n’est-ce pas manquer de Foi?

- « Tout ce que vous demanderez en mon Nom vous l’obtiendrez » affirme Jésus. Seulement Dieu est souverain, il ne se laisse pas commander. De plus, comme il connaît bien mieux que nous nos véritables besoins, nous avons tout intérêt à le laisser agir.

- La prière est efficace. Ne permet-elle pas de « déplacer des montagnes » ? Cependant, si malgré tous nos efforts, notre prière n’a pas été exaucée, peut-être est-ce parce que nous avons manqué de foi ou que nous avons mal demandé ou que nous n’avons pas été en règle avec le Seigneur, à moins que Dieu n’ait cherché, tout simplement, à éprouver notre foi. En dernier recours on peut toujours invoquer les " mystères" de Dieu et proclamer que "les voies de Dieu sont impénétrables".

- Dieu donne le Vouloir et le Faire… alors faisons preuve de volonté et œuvrons pour le Seigneur. Dieu donne la joie… alors soyons joyeux. etc.… Dieu donne abondamment mais c’est à nous de faire l’effort.

- Dieu est unique mais il est formé de trois personnes : le Père, le Fils et le Saint Esprit.  etc….

[9]  «…  et voici, il vous précède en Galilée ; c’est que vous le verrez. »  (Mat. 28,7) Le ressuscité se manifeste aussi sur une montagne (Mat. 28,16), dans une chambre (Jn. 20,26), sur les bords du lac de Tibériade (Jn. 21,1) etc…

[10]  Même son de cloche en Tite3,9-10 : «Mais évite les discussions folles, les généalogies, les querelles,...»Or, dans nos évangiles, il se trouve qu’il existe deux généalogies : la première en Mat.1, 1-16, la deuxième en  Lc.3,23-38. Quelles explications peut-on en donner ?Selon le dictionnaire biblique (Éditions EMMAÜS, 1961, Vennes sur Lausanne, Suisse) les généalogies dénoncées par Paul auraient une origine gnostique car elles seraient constituées d'éons et autres êtres imaginaires. Selon le "Nouveau commentaire biblique" (Éditions EMMAÜS, 1978, Saint-Légier sur Vevey, Suisse) il s’agirait vraisemblablement d’adjonctions et d’interprétations fantaisistes de l'Ancien Testament. Rien de probant dans ces explications. Elles ne sont que pures hypothèses. Revenons aux mises en garde de Paul. A aucun moment il ne fait de distinguo entre généalogies "sérieuses" et généalogies "fantaisistes". Tout porte à croire que les généalogies de nos évangiles doivent être mises sur le même plan que les fables. Le laconisme du Nouveau Testament est, d’ailleurs, éloquent. En dehors de ces mises en garde, pas la moindre petite allusion, en effet, à une quelconque généalogie. Relevons que, dans leur prédication, les apôtres se contentent d'affirmer que Jésus est issu de la postérité de David . Il s’agit là d’une proclamation messianique. La signification est donc tout à fait différente. Comment ne pas penser à des « généalogies sans fin » lorsqu’un orateur, le dimanche matin, nous lit Mat.1, 1-16 ou Lc.3, 23-38. Dans cette interminable litanie, Luc fait remonter Jésus non seulement jusqu'à Adam, le premier homme,... mais jusqu'à Dieu lui-même. En matière de généalogies difficile de faire mieux. Ajoutons enfin que les généalogies de Matthieu et de Luc ne sont pas concordantes et qu'elles ont soulevé bien des discussions. Si l'on admet la conception virginale de Jésus, Joseph n'est évidemment pas le géniteur de Jésus. Dès lors on peut s'interroger sur l'intérêt de telles généalogies.

[11]  Selon G.E. LADD (Théologie du Nouveau Testament Vol. 2, P.B.U.-SATOR, 1984) la critique historique n’a jamais été capable d’expliquer de façon convaincante la foi de disciples.  « (...) il nous faut aller jusqu`au bout du problème :  il s`est passé quelque chose qui a fait naître chez les disciples la foi en la résurrection de Jésus. Voilà le point crucial. Ce n`est pas la foi des disciples qui a inventé des histoires de résurrection ; c`est un événement sur lequel ces histoires reposent qui a donné naissance à la foi des disciples. » Comme les solutions proposées par la critique historique sont, évidemment, toutes contestables pour l'auteur, il en déduit qu'il ne reste qu'une seule solution plausible : Jésus est ressuscité des morts.

[12]  Explications sans doute aberrantes pour nous mais fabuleuses pour les disciples. S’agissant d’individus profondément engagés et exaltés, on dirait aujourd’hui extrémistes, on comprend mieux qu’ils aient adopté une position extrême.  

 

[13]  C'est par les Écritures que Jésus est ressuscité, affirment les disciples. A aucun moment ils ne nous disent qu'ils en avaient été avertis, à l'avance, par leur Maître. Du reste, leur découragement après la Croix, semble suffisamment éloquent. Bien sûr les évangiles prétendent le contraire. Ils nous disent que les disciples « ne l'avaient pas compris. » Étrange aveuglement pour des hommes de foi qui avaient vécu dans l'intimité avec le Seigneur et qui avaient été témoins, paraît-il, de miracles spectaculaires ! Tout porte à croire, en fait, que cette prétendue « incrédulité » n’est qu’une explication a posteriori tout comme le silence délibéré de Jésus concernant sa messianité.

 

[14]  Aujourd’hui, les chrétiens fondamentalistes réfutent la thèse de l’enlèvement du corps en affirmant que les ennemis de l’Église naissante n’ont jamais pu produire le cadavre du crucifié. Argumentation a posteriori élaborée par des gens qui savent que le christianisme a triomphé. Or il convient de nous placer dans le contexte de l’époque. Que pouvaient craindre les autorités juives ou romaines d’une petite poignée d’illuminés qui affirmaient que leur Maître était ressuscité et que personne ne prenait au sérieux (même si cela finissait par agacer) ? Pas grand chose. Un tel comportement devait paraître tellement dérisoire qu’il ne méritait même pas qu’on s’y attarde. Les disciples finiraient bien par reprendre leurs esprits pensait-on. Si les ennemis de Jésus n’ont jamais pu produire son cadavre on peut aussi envisager qu’il ait été volontairement détruit ou même perdu. Imaginons maintenant que le cadavre ait été retrouvé et présenté aux disciples. Rien ne prouve qu’ils l’auraient reconnu une fois extrait d’une fosse commune, surtout s’il était souillé, dans un état de décomposition avancé ou à moitié dévoré par des charognards. Qui nous dit qu’ils n’auraient pas, alors, dénoncé une mystification ? Mais revenons aux évangiles ; même s’il y a eu, à l’origine, polémique sur la disparition du corps, à aucun moment les disciples ne réclament la dépouille aux autorités, jamais ils ne cherchent à tirer parti de la situation en évoquant cet argument. Silence qui révèlerait un état d‘esprit bien différent de celui de nos contemporains.

[15]  Dans l'Ancien Testament le Messie attendu n'est qu'une sorte de délégué de Dieu et non pas l'incarnation de Yahvé (c’est une notion impensable pour des juifs). En bons juifs, les disciples plaçaient donc leur espérance en un Messie au service de Dieu. En Act. 2,36 : «  ... Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. » En Rom. 1,3-4 : « (…) déclaré Fils de Dieu selon l’Esprit de sainteté, par sa résurrection d’entre les morts (…) ». Ce n’est que bien plus tard, en terrain hellénistique puis latin, que Jésus-Christ sera pleinement identifié à Dieu. La contribution de l’apôtre Paul apparaît, à cet égard, tout à fait fondamentale, alors même, soulignons-le, qu’il n’a jamais été un disciple du Nazaréen et qu’il ne l’a, même, vraisemblablement, jamais rencontré.

 

Relevons que certaines affirmations des Écritures ne permettent guère d'identifier Jésus à Dieu. Ainsi, s'il est présenté comme inférieur au Père, c'est aussi dans l'attitude de la prière qu'il s'adresse à lui. C'est à lui qu'il attribue les miracles. A Gethsémané il lui obéit douloureusement. À la croix il se trouve apparemment abandonné de lui. Jésus ignore le jour et l'heure du jugement. Il considère le péché contre l'Esprit plus grave que le blasphème contre lui-même.

A partir du moment du moment où Jésus n’est plus simplement le Christ mais Dieu, le récit de sa vie, dans les évangiles, ne pouvait qu’être émaillé de prodiges. Question de crédibilité face à la concurrence! Comme les dieux païens Jésus a donc eu des pouvoirs surnaturels : le pouvoir de guérir, de ressusciter des morts, de marcher sur les eaux, d’arrêter des tempêtes, de changer l’eau en vin, de multiplier des pains…Tout comme Hercule, Empédocle, Romulus, Alexandre le Grand,... Jésus est né de l'union d'un dieu et d'une mortelle. Par pudeur ou pour se démarquer des païens, les chrétiens ont préféré mettre l'accent sur "l'immaculée conception". Constatons que Paul ne sait rien d'une naissance miraculeuse de Jésus. L'apôtre dit expressément qu'il est « né d'une femme » (Gal.4,4),  (gunè, dans le texte et non parthénos, une vierge). Il précise même que Jésus est «issu de la lignée de David selon la chair».  Si Paul ignore le thème de la conception virginale il ignore tout autant les circonstances extraordinaires qui ont entouré la naissance de Jésus, de même que ses miracles ?

 

[16]  Le rôle de Jésus lui-même dans l'instauration du royaume est ambigu : jamais il ne se dit lui-même le Messie, mais il laisse d'autres le nommer ainsi. Il refuse presque toujours ce titre et lorsqu'il parle du Messie c'est à la troisième personne, comme s'il s'agissait de quelqu'un d'extérieur à lui. (Par exemple en Mat.25, 13 : « Veillez donc puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure à laquelle le Fils de l’homme viendra. ») Enfin, ce n'est qu'après sa mort et sa "résurrection" que les disciples découvrent qu'il est le Christ. Tous ces indices nous incitent à penser, que, de son vivant, Jésus n'a jamais prétendu à un tel titre. Il se considérait et était considéré comme un prophète (Mat. 21,11), un docteur de la Loi (Mat. 22,16), mais ceci n’exclut pas que certains l’aient considéré comme le Messie. Jésus avait un tel sentiment de proximité avec Dieu qu'il se sentait investi d'une formidable autorité. Luc 4,18-19: « Il (Jésus) se leva pour faire la lecture, et on lui remit le livre du prophète Ésaïe. L'ayant déroulé, il trouva l'endroit où il était écrit: l'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres; il m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour publier une année de grâce  du Seigneur. »

 

[17]  Soulignons que le message de l’apôtre Paul ne se limite pas à un simple messianisme (Le messianisme concernait, au départ, uniquement le peuple juif). Paul transforme l’Évangile en une religion de salut universel, un salut où le passé devient plus important que le futur. Le Seigneur va certes nous sauver lors de son retour mais nul ne connaît le jour et l'heure. En revanche, ce qui est acquis, c'est que Jésus-Christ nous a déjà sauvé par sa mort expiatoire (Rom.6,8-10). Il est le Rédempteur, son œuvre est déjà accomplie... et c'est maintenant qu'il convient de faire le pas de la foi. Ajoutons qu’un message centré sur la Croix plutôt que sur le retour du Messie ne sauvait pas seulement des hommes mais l'Église. Cette certitude était certainement beaucoup plus gratifiante que l’incertitude du Jour du Seigneur, car elle permettait à l’Église de s’installer dans la durée.

 

[18]  A partir du moment où la "logique de la foi" s’est confondue avec fidéisme et qu’elle s’est cristallisée en dogmatisme, tous les errements initiaux de la foi ont été occultés.

 

[19]   Primitivement, en effet, l’Évangile n’était pas un texte écrit rapportant la vie de Jésus. L’Évangile était la bonne nouvelle proclamée de la résurrection de Jésus, de sa messianité et de l’imminence du royaume de Dieu. La vie terrestre du nazaréen importait peu à ce stade. On a commencé à s’y intéresser avec l’éloignement géographique et la disparition des derniers témoins directs, mais surtout lorsqu’il devenait manifeste que la Parousie avait pris un sérieux retard.

[20]  Nos évangiles en ont gardé le souvenir tout en travestissant quelque peu la réalité. (Mc.16,11 ; Mc.16,13 ; Lc.24,9-11…) Si les apôtres y sont taxés d’incrédules c’est pour tenter de démontrer que ce sont, finalement, les apparitions qui ont eu raison de leur incrédulité. Or ces apparitions posent problème. Le lecteur bute à chaque instant sur des incohérences. Il est manifeste que les rédacteurs de nos évangiles ont eu de sérieuses difficultés à harmoniser les récits issus de la "tradition orale". Ainsi, de quelle façon Jésus s’était-il manifesté ? Sous forme de visions ou sous forme d’apparitions ? S’agissant d’apparitions était-ce sous une forme matérielle ou spirituelle ? L’embarras des rédacteurs est perceptible tout au long des récits. Le ressuscité se manifeste tantôt avec un corps de chair et de sang, tantôt sous une forme immatérielle ou encore « sous une autre forme » sans que nous ayons la moindre précision. Il se fait toucher mais interdit aussi qu’on le touche. Il traverse les murs, apparaît puis disparaît mais son aspect semble tellement ordinaire qu’il passe inaperçu. Le récit se veut spectaculaire (anges de lumière, grands tremblements de terre…) alors que le ressuscité se montre d’une grande discrétion. Il paraît familier mais on ne le reconnaît pas et la description qui se veut précise est en réalité floue. D’ailleurs Jésus se fait reconnaître plus qu’il ne se montre. Sa présence est en même temps absence. Il est là mais déjà il n’est plus là, il est annoncé ailleurs. Un vrai jeu de cache-cache. Force est donc de constater que les apparitions se caractérisent par une grande ambiguïté. L’embarras des rédacteurs est d’ailleurs tel qu’ils minimisent l’importance des preuves matérielles, en mettant l’accent sur la foi et les Écritures. (Mc.16, 14 ; Lc.24,25-27 ; 45-49)

 

[21]  Le "vrai" Évangile est, de toute évidence, celui qui est défendu dans les lettres apostoliques (ou épîtres) ; un Évangile exigeant, austère, essentiellement spéculatif… très différent de l'histoire sainte et de la "légende dorée" que nous trouvons dans nos 4 évangiles.

[22]  Pour l’Église l’autorité des évangiles s’est imposée par une sorte "d’évidence interne", ce qui est bien vague.

 

[23]  Les textes néotestamentaires laissent ainsi apparaître plusieurs étapes rédactionnelles. La foi s'est construite et consolidée en fonction des réactions de la population. Pour perdurer, cette foi a dû s'adapter au milieu dans lequel elle évoluait.

 

[24] Vers 240 Origène se plaignait des altérations des évangiles: « Aujourd'hui, la chose est évidente, il  y a beaucoup de diversité dans les manuscrits, soit par la négligence de certains copistes, soir par l'audace perverse de quelques-uns à corriger le texte, soit encore par le fait de ceux qui ajoutent ou retranchent à leur gré, en jouant le rôle de correcteur. »  (Origène, Commentaires sur Matthieu 15, 14) Au IVe siècle, saint Jérôme, dénoncera « l'ardeur harmonisante » de ses prédécesseurs: « Les nombreuses erreurs qui se sont implantées dans nos manuscrits proviennent d'abord du fait que les récits évangéliques sur un même sujet ont été complétés les uns par les autres. Elles résultent ensuite de ce que, pour obvier aux différences des Évangiles, on a pris pour type le premier venu et l'on a tenu à corriger les autres d'après celui-là. »  (Jérôme, Lettre au pape Damase, préface) Comme le dit France Quéré : « L'Antiquité n'est pas trop pointue sur le chapitre des "droits d'auteur". On peut piller un texte, surtout celui qui se jette dans le domaine public, comme l'Évangile, le reproduire et le transformer. C'est même une tentation pour le scribe occupé à recopier. [...] Les signatures? Encore un coup de la piété. Certains de ces évangiles traînent sans nom d'auteur dans les communautés, et leurs disciples, se fiant plus à leur cœur qu'aux critères de l'édition savante, leur supposent une origine apostolique et les baptisent d'un nom particulièrement vénéré. [...] Quant à l'inspiration, si communément invoquée dans l'Écriture sainte, elle n'a rien d'une métaphore; ce n'est pas moi qui écris, mais un autre, l'Esprit ou le Conseil des Apôtres, demeurés vivants parmi nous, et je ne suis que le porte-plume. Et le titre rend hommage à ces secrètes tutelles. » (France Queré, Évangiles apocryphes, p.22-23, Coll. Points)

 

[25] Nos évangiles représentent l’aboutissement d’un long travail de compilation. Les scribes qui sont à l’origine de ce travail se sont employés à sélectionner dans une "Tradition" foisonnante, des récits qui leur paraissaient authentiques ou édifiants, selon des critères pour nous contestables, mais qui sont l'expression d'une piété sans doute bien réelle. S’ils avaient le souci d’établir la vérité c’était donc avec les œillères de la foi. Ils ont tenté d’harmoniser ces récits en donnant une interprétation plus ou moins convaincante pour leurs contemporains, mais sans parvenir à gommer toutes les contradictions, toutes les incohérences. Marques d’authenticité, pour nous bien précieuses, puisqu’elles nous permettent de remonter aux origines même de l’Évangile.

 

[26] Ce foisonnement de récits nous est, par exemple, confirmé en Jn. 20,30-31. Ainsi, peut-on lire : « Jésus a fait encore, en présence de ses disciples, beaucoup d’autres miracles, qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ces choses ont été écrites afin que vous croyez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu (…) » Plus loin en Jn. 21,25 l’auteur ajoute : « si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde même pût contenir les livres qu’on écrirait. » Ces affirmations semblent révéler un certain embarras de la part du rédacteur. Il nous dit que Jésus a fait « beaucoup d’autres miracles»  mais ajoute, aussitôt, qu’il n’a pas rapporté ces choses dans son livre. Pire. Il ne nous donne aucune précision sur ces autres écrits, semble-t-il, beaucoup plus bavards. Pourquoi un tel flou artistique ? Si, vraiment, l’objectif du rédacteur était de convaincre ou d’édifier, pourquoi a-t-il privé le lecteur de tels récits ? Sans doute conscient du problème, celui-ci nous propose une explication sidérante : l’impossibilité matérielle de réaliser un tel travail, car, dit-il « si on écrivait ces choses en détail, je ne pense pas que le monde même pût contenir les livres qu’on écrirait. » Exagération qui permet de glorifier le Seigneur tout en occultant la vraie raison. Ces autres écrits, en effet, qui en disaient tellement plus sur Jésus, relevaient-ils de la légende dorée ou de la vérité historique ? Avec les œillères de la foi, il était, en vérité, bien difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. Par prudence, le rédacteur a donc préféré ne pas retranscrire ces récits.

 

[27] La christologie, c'est-à-dire la science du Christ, ne s'est pas développée à partir d'un canon tout fait. Le Christ est une création historique à partir de Saint Paul. La christologie est aussi une construction politique parce que les décrets étaient pris en conciles et que les conciles étaient convoqués par les empereurs. L'élaboration d'une christologie a entraîné de profondes divergences. Par exemple les monophysites maximisaient le divin alors que les ariens maximisaient l'humain en minimisant le divin.

 

[28] Si l’on considère le christianisme comme un strict monothéisme, le dogme de la Trinité pose évidemment problème (trois hypostases divines : le Père, le Fils et le Saint Esprit... mais à cela s’ajoute une hiérarchie d’entités intermédiaires : les anges, le Diable, les saints que l’on peut prier et qui peuvent faire des miracles; enfin Marie, mère de Dieu, exempte du "péché originel", que l’on peut aussi prier et qui a le pouvoir d’apparaître occasionnellement). Si l’on replace, par contre, ce dogme dans son contexte d’origine à savoir le monde gréco-romain, très largement d’inspiration polythéiste, ce choix semble beaucoup plus cohérent. Avec le dogme de la Trinité il est clair que le christianisme rompait définitivement ses attaches avec le judaïsme. A ce stade  il s’agissait bien d’une religion nouvelle, une forme de polythéisme simplifié beaucoup plus accessible pour des Grecs ou des Romains. Comment expliquer une telle évolution ? Soulignons que la religion romaine souffrait d’une trop grande disparité. Comme le dit E.R Dodds (Païens et chrétiens dans un âge d`angoisse La pensée sauvage, 1979) « La tolérance religieuse qui était le propre de l`attitude grecque et romaine, avait entraîné l`accumulation d`une masse d`alternatives entre lesquelles il était impossible de se reconnaître. »  Trop de dieux, trop de cultes, trop de mystères, trop de philosophies de la vie. En proie à une certaine angoisse existentielle, les païens auraient été en quête d’une religion plus épurée, plus personnelle. Pour s’y retrouver il fallait donc « un sérieux coup de balai » mais encore fallait-il le faire en ménageant quelques compromis. Si c’est le christianisme qui a finalement triomphé (alors qu’il était en concurrence avec d’autres religions orientales) c’est évidemment parce qu’il répondait davantage aux attentes des gens, mais s’il en était ainsi, c’est aussi parce que cette religion nouvelle a été adaptée aux besoins. Du "sur mesure" en somme et tout cela au prix d’un immense travail, étalé sur des siècles. Soulignons que le christianisme a bénéficié de la fermentation des idées du monde gréco-romain. Il a été fécondé par des spéculations philosophico-politico- religieuses mais aussi par des valeurs, des croyances, des superstitions ou des pratiques issues du "paganisme". D’où sa richesse... mais aussi ses errements. Cette fécondation était possible parce que le monde méditerranéen était unifié, pacifié, qu’il disposait d’un réseau de voies de communication remarquable, que la concentration urbaine des populations était considérable et enfin, ce qui est loin d’être négligeable, le monde romain bénéficiait d’un cadre institutionnel solide. D’une certaine façon en se "déjudaïsant" le christianisme s’est "paganisé" et c’est en se romanisant qu’il a gagné en efficacité. A travers le christianisme se profile ainsi un ambitieux dessein : unifier la religion romaine, en faire une religion universelle (en latin catholicus, en grec katholikos), une religion qui a réponse à tout, qui n’admet aucune opposition et qui cherche à contrôler la totalité des activités de la société (en somme une religion totalitaire). Dans ce but les "autorités" ecclésiastiques seront amenées à jouer un rôle croissant, l’encadrement des chrétiens deviendra plus systématique, le discours se fera plus dogmatique et intolérant. Soulignons que si le christianisme a triomphé c’est aussi parce qu’il servait le pouvoir politique. Finalement, l’Église, devenue dominatrice, s’est identifiée à l’Empire romain.


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